PROTHESE DU GENOU : A LA RECHERCHE DE L’ANATOMIE PERDUE

Docteur Vincent Chassaing - Paris

http://www.genou.com/articles/anatperdue/PTRechercheAnatomieMod.htm

 

Indépendamment de l’instrumentation ancillaire propre à chaque type de prothèse, quels sont les principes qui peuvent guider la mise en place d’une prothèse du genou ?

Faut-il privilégier l’alignement comme le recommande la plupart des techniques de mise en place des prothèses du genou ?

L’alignement est représenté par un axe idéal auquel tous les genoux devraient se soumettre ! On rejoint le mythe terrifiant de Procuste qui, sur la route de Thèbes, hébergeait les voyageurs et voulait absolument qu’ils s’adaptent au lit qu’il leur proposait en les étirant ou les raccourcissant à la demande !

L’axe idéal du membre inférieur est un concept théorique, qui ne respecte pas le morphotype, et qui est souvent incompatible avec une bonne balance ligamentaire ... à moins de faire des releases. Halte à ces releases étendus proposés par un certain nombre d’auteurs américains : le release allonge un plan ligamentaire, qui n’était pas obligatoirement rétracté comme c’est le cas dans les génuvarums constitutionnels. Ce geste est techniquement peu précis et comporte un risque d’hypercorrection. Enfin, il a des effets différents en extension et en flexion du genou.

A défaut d’axe, faut-il se laisser guider par la stabilité, c'est à dire par la balance ligamentaire ? C’est probablement mieux, mais encore insuffisant voire trompeur : balance ligamentaire signifie égalité de tension entre plan ligamentaire interne et externe, égalité qui n'est pas physiologique car la tension du plan ligamentaire interne est différente de celle du plan externe. Cette balance ligamentaire peut de plus être faussée par l'arthrose et ses déviations avec possibilité de rétraction ligamentaire du côté concave et de distension du côté convexe.

L’important c’est

Pas l’anatomie théorique, préétablie, qu’on voudrait appliquer à tous les genoux, mais l’anatomie originelle, personnelle et différente d’un individu à l’autre.

Comment en pratique reproduire cette anatomie originelle lors de la mise en place d’une prothèse?

En reproduisant fidèlement l’anatomie ostéocartilagineuse ? c’est l’idéal ! Malheureusement les repères anatomiques vont manquer dans les arthroses évoluées

En prenant pour guide un axe «idéal » ? On s’éloigne alors de l’anatomie originelle. En revanche, c'est l'axe physiologique qui existait avant la déformation de l'arthrose qu'il faudrait retrouver.

En prenant pour guide la balance ligamentaire ? L'appréciation en est difficile et, on l'a vu, il existe des causes d'erreur.

 

 

Pour mieux réaliser les problèmes présentés par la mise en place d’une prothèse, imaginons une intervention qu’aucun d’entre nous n’a pratiquée : la pose idéale d’une prothèse sur un genou normal, c’est à dira sans aucune lésion ostéocartilagineuse !

Ce genou normal peut être «normo-axé » avec un tibia « droit » : le plan passant par les deux plateaux tibiaux est dans ce cas perpendiculaire à l’axe mécanique tibial.

Mais ce genou «normal » peut être en génuvarum constitutionnel avec un varus tibial épiphysaire, morphotype très fréquent : le plan passant par les deux plateaux tibiaux est alors incliné en varus sur l’axe mécanique tibial.

Imaginons tout d’abord le cas le plus simple, à savoir la mise en place d’une prothèse sur un genou sans arthrose, normo-axé, avec un tibia droit.

1°) Coupe osseuse sur le genou en flexion à 90°

2°) Coupe osseuse fémorale en extension

- la coupe tibiale, perpendiculaire à l’axe diaphysaire, est, puisque ce genou est normo-axé, parallèle à l’interligne.

- la coupe des condyles postérieurs est parallèle à la coupe précédente, également à l’interligne.

Ainsi, du côté tibial et fémoral la hauteur de la résection osseuse interne et externe est identique.

 

Là encore la coupe distale des condyles est effectuée à égale distance de l’interligne, parallèle à la coupe tibiale sur ce genou normo-axé.

Ces coupes osseuses doivent permettre également le respect du niveau de l’interligne. Il convient d’enlever suffisamment d’épaisseur de tibia pour correspondre à la taille de la prothèse tibiale. Le risque est d’être trop économe au niveau du tibia, ce qui entraîne alors une résection plus importante fémorale et une élévation du niveau de l’interligne à l’origine d’un abaissement de la rotule avec ses conséquences.

Il faut également respecter l’anatomie de l’extrémité inférieure du fémur et en particulier la saillie postérieure des condyles. Une prothèse trop petite risquerait d’entraîner une résection fémorale postérieure trop large. Il est très important de garder un espace fémoro-tibial identique en flexion et en extension. Une résection condylienne postérieure trop importante augmenterait cet espace en flexion, avec risque de luxation postérieure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise en place d’une prothèse totale sur un genou en varus constitutionnel, avec varus épiphysaire sans lésion cartilagineuse.

 

En flexion

Que faire sur le tibia : une section tibiale perpendiculaire à l’axe mécanique ? Elle entraîne une résection asymétrique des plateaux tibiaux et également des condyles fémoraux postérieurs. Les partisans de cette coupe se réjouissent de la rotation externe de la prothèse fémorale qu’elle entraîne et qui serait bénéfique pour la stabilité rotulienne ...

Si l’on veut éviter cette coupe fémorale postérieure asymétrique tout en gardant une section tibiale perpendiculaire à son axe et ces deux coupes parallèles, il est alors nécessaire d’effectuer un release du ligament latéral interne (bien qu’il soit normal !).

Que faut-il faire en extension ?

Là encore, si l’on veut garder une coupe tibiale perpendiculaire à l’axe diaphysaire tibial, on a le choix entre une coupe asymétrique distale du fémur...

...ou une coupe fémorale symétrique mais alors avec un release du plan ligamentaire interne.

Ce sont des choix stratégiques difficiles, mais qui ne sont pas satisfaisants car ils ne respectent pas l’anatomie.

 

 

 

 

Or, sur ce genou normal, sans arthrose, en varus par varus épiphysaire tibial, il est possible de respecter l’anatomie en reproduisant un interligne prothétique exactement à l’emplacement de l’interligne anatomique.

La section tibiale n’est plus alors perpendiculaire à l’axe tibial. Elle doit être en varus, reproduisant le varus épiphysaire tibial, de façon à être à égale distance de l’interligne fémoro-tibial interne et externe. Cette coupe enlève alors la même hauteur de plateau interne et externe. Du côté fémoral, en flexion et en extension, les coupes osseuses parallèles à la coupe osseuse tibiale sont également à égale distance de l’interligne interne et externe.

On peut mettre ainsi en place une prothèse qui ne modifie pas le varus originel, reproduit le varus tibial épiphysaire et qui, bien entendu, respecte l’équilibre ligamentaire tel qu'il existait sur ce genou sain.

 

Comment appliquer ces principes à la gonarthrose ?

C’est relativement facile lorsqu’il existe une arthrose peu évoluée. On rejoint alors la technique de mise en place de la prothèse sur le genou sain que l’on vient de voir, en se laissant guider par la hauteur des deux plateaux tibiaux et des deux condyles, de façon à restaurer un interligne articulaire qui correspond exactement à l’interligne qui existait avant l’arthrose. Et l'on obtient un axe qui reproduit l'axe originel.

Mais reproduire l’anatomie originelle est d’autant plus difficile que la destruction ostéocartilagineuse est importante. C’est dans ces gonarthroses évoluées qu’il faut aller à la recherche de l’anatomie perdue en utilisant conjointement les trois critères à notre disposition :

 

l’anatomie ostéo-cartilagineuse restante disponible : le plan des plateaux tibiaux si la destruction à leur niveau n’est pas trop importante. Le plan des condyles postérieurs en général épargnés par l’arthrose. On peut s’aider du côté opposé s’il est sain et calculer le varus épiphysaire tibial que cherchera à reproduire la coupe tibiale.

 l’axe du membre inférieur, non pas l’axe théorique, mais l’axe originel que l’on peut éventuellement connaître si le côté opposé est sain.

la balance ligamentaire après ablation des ostéophytes et si besoin release prudent et à la demande s’il existe une rétraction ligamentaire.

 

Sur un genou très détruit----------------------------------------------

 

1 / on va commencer par la coupe tibiale.

Dans le plan frontal, il est nécessaire d’évaluer le varus épiphysaire tibial. Le plus souvent l’étude préalable des radiographies permet de le calculer, soit sur le genou arthrosique si les plateaux tibiaux ne sont pas trop usés, soit sur l’autre genou s’il est intact. Avec le viseur tibial, on détermine la coupe à 90° puis on la varise du nombre de degrés correspondant au varus épiphysaire (90°-VE)

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S’il n’est pas possible de connaître le varus épiphysaire tibial on peut prendre pour repère, sur le genou fléchi à 90°, la partie postérieure des condyles, habituellement épargnés par l’usure cartilagineuse. La coupe tibiale est alors parallèle au plan des condyles postérieurs.

 

Le guide de coupe tibial prend pour repère ce bord postérieur des condyles. Puis il est glissé vers le bas sur le tibia permettant une coupe parallèle au plan des condyles postérieurs

Dans le plan sagittal, il convient bien entendu de restaurer la pente tibiale qui existe, et qui varie d’un genou à l’autre.

 

2/ Coupe fémorale antéro-postérieure. Après avoir déterminé la taille de la prothèse fémorale, on effectue les coupes antérieures et postérieures fémorales. La rotation du guide de coupe est déterminée par une résection identique des condyles postérieurs, interne et externe, puisque l’on cherche à ne pas s’éloigner de l’anatomie.

Les coupes tibiales et fémorales, guidées par l’anatomie, sont ainsi effectuées de façon indépendante.

Il faut alors s’assurer que l’espace fémoro-tibial en flexion est suffisant pour admettre l’épaisseur de la future prothèse par la mise en place d’un spacer. Si son introduction n’est pas possible, c’est sur le tibia qu’il faut augmenter la résection osseuse, sans changer bien sûr l’orientation du plan de coupe.

 

3 / La coupe distale fémorale est pratiquée sur un genou en extension. Sur ce genou très détruit, on n’a plus de repère ostéo-cartilagineux. C’est là que la mise en tension ligamentaire permet d’effectuer cette coupe fémorale en gardant une balance ligamentaire équilibrée.

Mise en place d’un guide de section fémorale qui prend appui sur la coupe tibiale. L’utilisation d’une distraction par pince de Méary permet la mise en tension ligamentaire, que l’on contrôle par des manoeuvres en valgus et varus. Dans ces arthroses évoluées, on ne peut pas se fier uniquement à cette balance ligamentaire et il est nécessaire de contrôler également l’axe du membre inférieur au cordeau. Sans rechercher l’alignement à 0°, on s’assure cet l’axe reste tolérable. Si ce n’est pas le cas, c’est à ce moment que peut être effectué un release progressif jusqu'à obtenir un axe correct sous distraction. Mais ce release doit rester prudent pour éviter tout hypercorrection.

 

La section fémorale est alors pratiquée, strictement parallèle à la coupe tibiale, la distraction étant laissée en place. Au spacer on s’assure ensuite que l’écart fémoro-tibial en extension est identique à celui qu’on avait obtenu en flexion. Si ce n’était pas le cas, la recoupe se ferait sur le fémur, en gardant le même plan de coupe.

 

 

 

Ainsi, peut-on espérer récupérer un axe du membre inférieur identique à celui qui existait avant l’arthrose, tout en conservant une bonne stabilité ligamentaire en extension et en flexion. Les différentes coupes osseuses ne nécessitent plus un matériel ancillaire avec de longues visées de l’axe du tibia et du fémur.

Avec François COMBELLES et Jérôme LEMOINE, nous avons revu 45 patients porteurs de prothèses LCF à patins mobiles ou avec plate-forme rotative, avec un recul supérieur à 5 ans. 30 patients avaient des axes normaux ( 2° de valgus à 2° de varus ). 12 patients étaient en varus de 3 à 6°. 5 patients avaient un valgus de 3 à 6°. Les résultats avec un recul moyen de 6,7 ans, ont été satisfaisants et non influencés par l’axe post-opératoire. En particulier, aucune complication mécanique n’a été notée, pas de luxation de patins, pas d’usure.